Parmi les divers moyens dont l'homme se sert pour communiquer avec ses semblables (les gestes, les jeux de physionomie, le tam-tam, les feux des Indiens, le sémaphore, les panneaux de signalisation, etc.), le principal est le langage.
Mon cher Maurice,
Me voilà bien embêté de te voir amorcer Le bon usage par des notions de linguistique. Embêté, dis-je, parce que je me sens d'emblée ignorant. Tu me diras peut-être qu'il faut étudier les fondements du langage avant de s'attaquer aux particularités particulièrement chiantes du français (chiantes à un tel point qu'on les confond avec ses beautés), mais il me coûte de me sentir obligé de plonger dans d'autres ouvrages que je n'ai jamais eu le courage d'ouvrir pendant mes études pour ne pas avoir l'air trop con dès le départ.
C'est pourquoi, il va sans dire, que je ne me pencherai que sur les détails insignifiants, comme si, par définition, un détail n'était jamais autre chose qu'insignifiant.
Je n'ai jamais tout à fait saisi les nuances entre langage, langue et parole. En linguistique chaussurienne (je suis certain d'être le premier à faire cette blague de mauvais goût), la distinction est capitale. Je te soupçonne d'avoir soigneusement évité les problèmes de terminologie en employant une périphrase aussi vague que « les divers moyens dont l’homme se sert pour communiquer ». La périphrase est le fondement même de la langue de bois, tu le sais bien. Il s'agit de noyer le sens dans une foule de mots pour ne pas avoir à dire la chose telle qu'elle est. Demande à n'importe quel couple moderne ou chef d'entreprise : tu seras surpris.
C'est dans cette mesure que je ne suis pas mécontent de voir, plus loin dans le paragraphe, que le langage a d'autres fonctions, entre autres qu'« il sert d'expression, de support à la pensée », ce qui reviendrait à dire, si j'étais de mauvaise foi, que l'insignifiance du propos était à l'image de l'insignifiance de la pensée. D'ailleurs, l'idée selon laquelle les gens qui ne savent pas s'exprimer ne savent pas penser est plutôt répandue. Quand de grosses légumes indiquent, dans un ouvrage des éditions du Seuil, qu'« il ne s'agit pas seulement de dire que la parole est singe, mais qu'elle est miroir, qu'elle comporte une analogie interne avec le contenu qu'elle véhicule1 », je ne peux que cautionner les jugements tout à fait gratuits que je porte sur certains analphabètes fonctionnels que je corrige pour gagner mon pain quotidien.
Mais bon, dans ce cas, tu te rattrapes particulièrement bien en rappelant, d'après Jakobson (un autre nom qui me rappelle force cours ratés pendant mes études), la fonction phatique de la communication, c'est-à-dire que la communication, parfois, « justifie la communication », ne sert qu'à l'établir. Est-ce à dire que la fonction phatique n'est qu'une façon polie de désigner la fonction « parler pour ne rien dire »? Réponds-moi, je te l'ai dit, j'y connais rien dans tout ça.
Les tours à bureaux sont objets phalliques et phatiques, c'est moi qui le dis.
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1 DUCROT, Oswald et SCHAEFFER, Jean-Marie. Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris, Seuil (coll. « Points »), p. 18.
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