mardi 30 janvier 2007

Le fol usage, paragraphe 1

Parmi les divers moyens dont l'homme se sert pour communiquer avec ses semblables (les gestes, les jeux de physionomie, le tam-tam, les feux des Indiens, le sémaphore, les panneaux de signalisation, etc.), le principal est le langage.

Mon cher Maurice,

Me voilà bien embêté de te voir amorcer Le bon usage par des notions de linguistique. Embêté, dis-je, parce que je me sens d'emblée ignorant. Tu me diras peut-être qu'il faut étudier les fondements du langage avant de s'attaquer aux particularités particulièrement chiantes du français (chiantes à un tel point qu'on les confond avec ses beautés), mais il me coûte de me sentir obligé de plonger dans d'autres ouvrages que je n'ai jamais eu le courage d'ouvrir pendant mes études pour ne pas avoir l'air trop con dès le départ.

C'est pourquoi, il va sans dire, que je ne me pencherai que sur les détails insignifiants, comme si, par définition, un détail n'était jamais autre chose qu'insignifiant.

Je n'ai jamais tout à fait saisi les nuances entre langage, langue et parole. En linguistique chaussurienne (je suis certain d'être le premier à faire cette blague de mauvais goût), la distinction est capitale. Je te soupçonne d'avoir soigneusement évité les problèmes de terminologie en employant une périphrase aussi vague que « les divers moyens dont l’homme se sert pour communiquer ». La périphrase est le fondement même de la langue de bois, tu le sais bien. Il s'agit de noyer le sens dans une foule de mots pour ne pas avoir à dire la chose telle qu'elle est. Demande à n'importe quel couple moderne ou chef d'entreprise : tu seras surpris.

C'est dans cette mesure que je ne suis pas mécontent de voir, plus loin dans le paragraphe, que le langage a d'autres fonctions, entre autres qu'« il sert d'expression, de support à la pensée », ce qui reviendrait à dire, si j'étais de mauvaise foi, que l'insignifiance du propos était à l'image de l'insignifiance de la pensée. D'ailleurs, l'idée selon laquelle les gens qui ne savent pas s'exprimer ne savent pas penser est plutôt répandue. Quand de grosses légumes indiquent, dans un ouvrage des éditions du Seuil, qu'« il ne s'agit pas seulement de dire que la parole est singe, mais qu'elle est miroir, qu'elle comporte une analogie interne avec le contenu qu'elle véhicule1 », je ne peux que cautionner les jugements tout à fait gratuits que je porte sur certains analphabètes fonctionnels que je corrige pour gagner mon pain quotidien.

Mais bon, dans ce cas, tu te rattrapes particulièrement bien en rappelant, d'après Jakobson (un autre nom qui me rappelle force cours ratés pendant mes études), la fonction phatique de la communication, c'est-à-dire que la communication, parfois, « justifie la communication », ne sert qu'à l'établir. Est-ce à dire que la fonction phatique n'est qu'une façon polie de désigner la fonction « parler pour ne rien dire »? Réponds-moi, je te l'ai dit, j'y connais rien dans tout ça.

Les tours à bureaux sont objets phalliques et phatiques, c'est moi qui le dis.
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1 DUCROT, Oswald et SCHAEFFER, Jean-Marie. Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris, Seuil (coll. « Points »), p. 18.

jeudi 25 janvier 2007

Contretemps

Patient, patiente,

Ma guigne étant ce qu'elle est, mon ordinateur à la maison est aujourd'hui kaput. Et pour des raisons financières, ce sera pas de sitôt que j'aurai de nouveau accès à un appareil de chez moi.

Redécouvrir le plaisir d'écrire à la main.

Je retaperai à partir du bureau.

Mais pas avant lundi.

lundi 15 janvier 2007

Le fol usage, l'intro

Christiane Charrette, Christian Charrue,

Toujours enfant, au moment où ma grande sœur entreprenait ses études de lettres, j’étais vivement impressionné par l’exemplaire du Bon usage qui traînait dans sa bibliothèque. Comment ne pas trouver la grammaire compliquée à la vue de ce monstre? Plus ou moins 1700 pages, 1105 paragraphes, la langue normative dans toute sa splendeur.

Une vingtaine d’années plus tard, ce constat : cet ouvrage est une mine de renseignements, bien sûr, mais il beaucoup plus simple que je ne l’aurais cru, beaucoup plus souple que bien d’autres ouvrages en la matière. Le bon usage, une bible? Non, en fait, c’est le plus vaste regroupement de citations jamais publié. En d’autres termes, Le bon usage fait un excellent livre de salon mondain.

Mais voilà, je suis certain que vous avez la flemme. Et moi, en bon pédagogue, j’ai songé commenter, paragraphe par paragraphe, ce monumental ouvrage de M. Grevisse, ce qui veut dire, cela va de soi, que je lirai l’ensemble de son contenu. Je ne recopierai pas tout, c’est pas bien de toute façon et je n’ai surtout pas envie d’avoir des problèmes de droits d’auteur droit dans le cul. Non, il ne s’agira que d’apprendre sans nécessairement s’amuser, soit en faisant deux ou trois blagues de mauvais goût. Si je tenais le rythme d’un paragraphe par jour, j’en aurais pour un peu plus de trois ans. Évidemment, ce ne sera pas le cas. Je vous tiendrai captifs beaucoup plus longtemps. Ce sera mon fol usage.

Vais-je tenir le coup? Mais quelle question! Ce n’est pas la grammaire qui vous intéresse, après tout?

Allez, plus que 1105 paragraphes.

lundi 8 janvier 2007

Je vas vous dire in affaire

Glandeur, glanderesse,

Collègue B2, B4, Vicks (elle est toujours grippée ces derniers temps) et moi avons repris aujourd’hui une discussion sur l’emploi particulièrement fréquent du futur périphrastique (ou futur proche) dans la langue orale et, par conséquent, de l’emploi littéraire du futur simple. Bon, on me dira peut-être qu’on a des sujets de conversation particulièrement nazes dans mon service, mais ça vaut bien, vous en conviendrez, les ennuyeuses discussions sur le temps, les vacances, la télé, le sexe et la coprophagie qui se tiennent régulièrement dans les ascenseurs des édifices du centre-ville.

« Ce futur périphrastique est un redoutable concurrent du futur simple dans la langue parlée : On a calculé qu’on l’employait une fois sur trois. » Voilà ce qu’affirme Grevisse dans Le bon usage. Le pauvre : il n’a jamais fait un tour au Québec, foi de quelqu’un qui ne sait de quoi il parle. Non mais, vous vous souvenez de la dernière fois où vous avez dit : « Je me ferai des tomates confites et deux œufs tournés saucisses demain », au lieu de : « Je vais me faire des tomates confites et deux œufs tournés saucisses demain »? Non? Me voilà réconforté. Bon, il y a tout de même collègue B4 qui prétend qu’on utilise le futur simple plus souvent qu’on ne le croit, mais je vais tout de même pas m’embarrasser des affirmations d’un linguiste qui sait de quoi il parle. C’est moi qui commande ici, je dis ce qui me met en valeur, je ne voudrais pas qu’on corrompe ma liberté d’expression, c’est la mode dans les blocs-notes. CQFD, basta et passez go.


Reprenons donc la démonstration. Toi, homme du peuple, et toi, femme du peuple, voulez impressionner la galerie, masquer votre statut social et faire bonne impression dans les soirées canapés (admirez la polysémie de l’expression)? Pensez futur simple et, dans le meilleur des cas, plus-que-parfait du subjonctif (que nous aborderons une autre fois). À cet égard, je vous présente des exemples vous aideront, j’en suis sûr, à devenir accroc du futur simple :


Ne dites plus :

  1. Je vais lire ce blogue rempli d’atermoiements amoureux.
  2. Je vais lui faire l'amour comme s’il n’y avait pas de lendemain.
  3. Il va la demander en mariage.
  4. Il va se faire prendre les culottes baissées.

Dites plutôt :

  1. Je lirai très bientôt le blogue typique.
  2. Je frapperai mon Waterloo.
  3. Il s’humiliera.
  4. Il rencontrera sa maîtresse.

Bon, je crois que vous comprenez le principe. Exercez-vous. N’hésitez pas à me faire part de vos découvertes.

Évidemment, je ne saurai trop vous faire prendre conscience de la polyvalence du futur dans le verbe français. Il faut en effet adjoindre au futur simple, au futur périphrastique et au futur antérieur (« J’aurai été un pédagogue extraordinaire. ») le futur proche sans semi-auxiliaire (« J’arrive à l’instant. ») et, en matière de nanas, le futur improbable (« Je t’appelle. »), le futur compliqué (« Je ne suis pas prête. »), le futur plaisant (« Je couche le premier soir. »), le futur sans sexe (« Je suis enceinte. ») et le futur anéanti (« Il faut qu’on se parle. »).

Qui a dit que le français était une langue compliquée, hein?

mercredi 3 janvier 2007

Vous avez dit guide?

Garçons, garçonnières,

Voilà plus de six jours entiers que je planche sur la traduction d'un guide d'utilisation (plutôt que guide de l'utilisateur, rédaction épicène oblige). Le texte ne pose pas de problèmes particuliers, si ce n'est de son style, qui laisse croire que son rédacteur est francophone. Bah, on s'y fait vous savez! Ce n'est certainement pas la première ni la dernière fois qu'on me demande de rendre en français en texte en anglais qui sent le français à plein nez! De nos jours, les employés sont si (désespérément) bilangues!

En fait, la traduction de guides d'utilisation est rarement difficile. Ils sont d'une simplicité désarmante : cliquez sur le bouton (qui ruinera votre rancart), appuyez sur la touche Entrée (ici, et non pas là), sélectionnez Sauvegarder sous... (peine de perdre votre emploi), faites un choix dans le menu déroulant (de nanas, en anglais drop-down dead gorgeous menu) et ainsi de suite, vice versa et vogue la galère.

Les pires phrases, celles qui vous font normalement arracher les cheveux, retirer les doigts du nez, regretter les ennuyeuses nuits de luxure et douloureuses démangeaisons qui les suivent, eh bien ces phrases se traduisent avantageusement, dans la plupart des cas, par « Cliquez sur OK ». On n'enseigne jamais ce truc infaillible dans les cours de traduction. C'est dommage.

Mais voilà, qui lit ces ouvrages, hein? Vous? D'aucuns savent qu'en cas de problème, pas question de lire le guide, à plus forte raison d'y trouver réponse à ses questions! Mieux vaut s'humilier au téléphone avec un technicien qui ne l'a pas lu, le guide!

Le travail du translateur est toujours destiné à l'oubli.

Le guide, c'est pour les nuls!